Port-au-Prince, le 10 mai 2023
Elles sont quasi absentes, les offres universitaires ou techniques de professionnalisation des opérateurs culturels en Haïti. Une situation qui constitue un veritable handicap au bon fonctionnement des organisations culturelles et créatives de la place. A cet effet, dans le but de prêter main forte à ce secteur, au regard d’une “forte demande”, Judith Michel lance Umanum. Une interview avec la pdg pour en savoir davantage sur cette structure innovatrice.
Souvent difficile est-il de se décider à quitter le statut d’employée à l’idée de monter sa propre boîte. En proie au doute, les interrogations fusent de partout. Judith Michel en sait quelque chose. Fort de tout cela, délaissant le confort de son poste au Centre d’Art, elle décide de faire le grand saut. C’est dans un contexte socio-politique difficile, que la jeune femme manifeste la ferme volonté de s’engager plus étroitement auprès des associations et regroupements d’artistes.
À cette époque, la Covid fait sa loi s’ajoutant aux soubresauts des pénuries d’essence. Si la femme d’affaires novice voit en cet acte, de “l’esprit d’entreprise”, pour sa mère, c’est “de l’inconscience”.
UMANUM, version stylisée de humanum en provenance du latin signifie “De l’humain”. La fondatrice de ce cabinet d’expertise affirme que “l’humanité des personnes” est le socle de l’institution. Au regard d’un contexte philosophique et moral, « humanum » fait référence aux aspects positifs de l’humanité tels que la compassion, l’empathie et la solidarité. Il souligne ainsi la nature sociale et altruiste de l’Homme, selon ses dires. Un ensemble de valeurs profondes qui caractérisent le cabinet, ses collaborateurs, ses partenaires et ses projets. Elles sont également communes à celles “abondamment véhiculées dans les pratiques artistiques également et particulièrement en Haïti”. Et ainsi, dès 2018, UMANUM fait ses premiers pas officieusement.
Deux ans après, soit en 2020, l’institution est formalisée.
Au delà de faire du profit, “c’est la demande ! En Haïti”, qui a été la première source de motivation de Judith Michel. Selon ses explications, la communauté internationale a bien souvent l’habitude d’apporter des solutions à des problèmes avant même la formulation d’une demande. “Or, sans demande, on ne répond à rien, on impose !”, indique celle qui est née en France. Les débuts n’ont pas été trop difficiles en terme de relations humaines nous apprend elle.
En effet, au Centre d’Art, elle a été baignée dans toute forme d’expression artistique. “Il est vrai que l’institution se focalise sur les arts visuels, mais en tant que responsable de la programmation culturelle, je côtoyais beaucoup d’artistes des domaines du théâtre, de la danse, de la musique, de la photographie et du numérique et également des opérateurs d’organisations à visée sociale en faveur des droits humains (droits des femmes, à la scolarisation, à l’expression, etc.)” se souvient-elle. Au fur et à mesure, elle a commencé à accompagner certaines de ces organisations dans la structuration de leurs évènements puis de leurs plans d’actions et budgétaire. Finalement, elle a décidé d’offrir ce type de services à plein temps.
Que ce soient des auteurs, réalisateurs de films, musiciens, artistes du spectacle vivant, artistes visuels, le cabinet d’expertise s’inscrit dans la structuration des différents secteurs de l’économie de la culture et de la création en une véritable filière génératrice de revenues. À en croire le constat de la directrice d’Umanum, la croissance de ces dits secteurs reste néanmoins empêchée, étant encore en grande partie informelle et peu organisée. D’où l’urgence et la nécessité d’un renforcement. La jeune entreprise que l’on pourrait considérer comme pionnière dans le domaine couvre “six champs d’interventions: l’appui institutionnel et organisationnel, la levée de financements, la gestion de projet, la formation, la communication et le développement d’outils et de méthodes adaptés”. Une offre d’assistance technique dont le cœur de métier est la consolidation des capacités et des compétences.
Toutefois, malgré l’engouement des organisations culturelles et créatives, les demandes sont souvent à court terme. Les concernées comptent assez souvent sur le financement de leurs projets de festival, d’exposition, etc. A ce moment-là, UMANUM fait de la veille et recherche les financements les plus adéquats au projet et à l’organisation. Le cabinet rédige les demandes de subvention et négocie les contrats. Hélas, ces dernières connaissent un manque total “de considération des pouvoirs publics et d’une telle irrégularité de ressources qu’il leur est difficile de se projeter sur 2, 5 ou 10 ans et donc de développer des stratégies d’actions durables”. Ce qui permettrait de générer des fonds propres, d’assurer des revenus fixes aux artistes et techniciens et ainsi de leur permettre de vivre de leur travail, de les professionnaliser, se plaint Judith Michel. À côté de cela, l’intensification de la fuite des cerveaux et des créateurs dans le secteur de la culture reste gênante. “Un authentique casse tête”, pour l’organisme, néanmoins la responsable reste confiante. Des solutions peuvent être encore trouvées. Pour ce faire, la demande doit être formulée.
Par ailleurs, la plus grande satisfaction de Judith Michel réside dans un travail bien fait et accompli. “En fait, lorsque le public voit une exposition, une pièce de théâtre, lit un livre ou écoute un podcast, moi j’y vois l’aboutissement d’un processus, d’une convergence d’individus pour une seule et même création”, argue-t-elle. Il y a eu de la frustration, de l’entraide, des engueulades, des rires, des torpeurs, des fulgurances et des compromis mais il y a eu avant tout de l’humain. De l’humain et de la création !”, confie-t-elle. Celle dont l’attente première est de continuer à répondre aux demandes et besoins formulés par les organisations culturelles, ambitionne “d’agrandir le cabinet et de proposer un service de prestations sociales pour les professionnels de l’art et de la culture (gestion collective des droits d’auteurs, de l’assurance santé et de la retraite), basé sur les particularités propres à l’intermittence du spectacle ou aux irrégularités de revenus par exemple”. S’ajoutant à cela, elle rêve d’investir dans la production de contenus culturels et éducatifs sur les expressions artistiques haïtiennes. “Mais chaque chose en son temps !”, s’exclame-t-elle. Somme toute, l’entrepreneure vous donne rendez-vous sur le site internet d’UMANUM, mis en ligne récemment. Profitez en. https://www.umanum-icc.org.
Notice biographique de Judith Michel Judith Michel est née en France de parents originaires du Sud d’Haïti. Après une licence d’anglais à La Sorbonne et un Master 2 en gestion de projet de solidarité internationale à l’Université Paris Saclay, elle a travaillé en Europe dans les domaines de l’éducation populaire, de la formation pour adultes et de la Culture. Elle a également à l’époque offert ses servies à des organisations de différentes envergures, de l’association, à une mairie en passant par le Centre du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Depuis 8 ans, elle a déposé ses valises en Haïti. Au Cap-Haïtien en 2015, elle a été d’abord chargée de mission pour Haïti Futur, en vue de développer et déployer des formations à la pédagogie active en direction des enseignant.es des départements du Nord et du Nord-Est. Par la suite, elle a travaillé au Centre d’Art en tant que responsable des programmes de 2017 à 2020 ; de là étant, elle a monté le programme pédagogique et le service de soutien à la création. En 2020, elle s’est consacrée totalement à sa nouvelle entreprise, UMANUM.
Shylene Prempin
Pour lire l'article original | https://muselles.org/umanum-pour-la-professionnalisation-des-industries-culturelles-en-haiti/?fbclid=IwAR2RF4cGL2rnOFP_2a7ciSkX4z9K99LXaqfWr6JW6aiy5lps5qpX__VV1Bg
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